Mis à jour le 17 mars 2016

Depuis une vingtaine d’années, la ville de Toronto associée à un conseil de citoyens réfléchit à un système alimentaire urbain durable. Sa stratégie innove en privilégiant les ressources locales et les populations les plus défavorisées par le système alimentaire actuel.

En 2050, plus des deux tiers des humains habiteront en ville. Comment les nourrir ? Pour répondre à cette question, le colloque de la Chaire Unesco "Alimentation du Monde", qui s’est tenu à Montpellier début février, a mis en avant le système alimentaire du grand Toronto. Avec ses 5,5 millions d’habitants, cette agglomération expérimente un système qui concilie les ressources et les besoins locaux.

Depuis une vingtaine d’années, le Toronto Food Policy Council réfléchit au système alimentaire de sa ville. Soutenu par la municipalité, ce conseil de citoyens sur la politique alimentaire rassemble techniciens, chercheurs, associatifs, agriculteurs, industriels. Son premier constat est que le système agroindustriel dominant n’est pas durable. À cause de sa dépendance énergétique d’abord. Aujourd’hui, l’approvisionnement de la ville repose sur des aliments qui parcourent en moyenne 4500 kilomètres ! Par ailleurs, les problèmes sanitaires exponentiels sont indissociables d’une mauvaise alimentation. Le système agro-industriel produit trop de calories, mais des aliments trop pauvres en nutriments. Un rapport canadien montre par exemple que l’état de santé des enfants s’est dégradé : ils sont plus gras et plus faibles en 2010 qu’en 1981. Autre paradoxe, les agriculteurs de la ceinture verte autour de la ville, malgré des bonnes terres et un marché urbain gigantesque, vivent avec à peine 8 000 dollars canadiens par an.

Déserts alimentaires

Chaque mois, le Toronto Food Policy Council se réunit pour inventer des solutions locales à ces nombreuses contradictions. Par exemple, constatant que la nourriture bon marché et facilement accessible est la moins équilibrée, il a développé des jardins communautaires dans des espaces publics. La municipalité a ensuite pris le relais en inventoriant les espaces disponibles. Entre 2008 et 2009, 800 000 dollars ont été investis pour développer la production de nourriture directement dans les quartiers défavorisés.

La ville a également lancé une cartographie des déserts alimentaires, ces quartiers qui n’ont pas de commerces de détail suffisants. Pour les habitants, accéder à des produits frais relève ainsi de la double peine car ils sont trop chers et trop éloignés. Des camions de primeurs mobiles devraient bientôt remédier à cet isolement. Foodshare, la principale association d’aide alimentaire, vend déjà des milliers de paniers de fruits et légumes locaux à des prix accessibles : les produits sont vendus au prix coûtant, la logistique et la distribution étant subventionnée.

Un habitant sur deux n’est pas né au Canada

Les services sanitaires, sociaux, espaces verts de la ville travaillent ainsi ensemble et avec un important réseau associatif. « Cette dynamique transversale est une des réussites de la stratégie alimentaire de la ville », explique Harriet Friedmann, géographe à l’Université de Toronto et membre du conseil de citoyen. Dans un contexte budgétaire morose, cette implication d’organisations publiques et privées à tous les niveaux du système alimentaire s’avère d’autant plus efficace, selon la chercheur. La forte participation citoyenne permet aussi de suivre les évolutions à l’œuvre dans la ville. Par exemple, une personne sur deux vivant à Toronto n’est pas née au Canada. Qu’à cela ne tienne, la stratégie alimentaire s’adapte à cette diversité culturelle. Des agriculteurs locaux réorientent ainsi leur production et développent des choux chinois, de la coriandre et des carottes rouges pour satisfaire la demande asiatique.

Souveraineté alimentaire

La réorganisation du système alimentaire présente un véritable enjeu pour l’économie locale, insiste Harriet Friedmann : « Des initiatives publiques et associatives supportent diverses entreprises artisanales qui produisent, distribuent et vendent de la nourriture pour récupérer une plus grande part des 7 milliards dépensés pour l’alimentation dans la ville chaque année. » Une association s’est même spécialisée dans l’offre d’approvisionnement local. Local Food Plus propose ainsi des fournisseurs locaux aux collectivités et aux entreprises. Si aujourd’hui, le système agro-alimentaire de Toronto reste dominé par les grandes compagnies, Harriet Friedman est optimiste sur la progression de la souveraineté alimentaire de la ville grâce à ce réseau touffu d’organisations. « Depuis 25 ans, les grandes compagnies dominent le système. Mais on pourrait bien être en train d’assister à une reconfiguration du pouvoir qui ferrait plus de place aux aspirations sociales », se réjouit-elle.

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