Mis à jour le 17 mars 2016

Le Cerdd donne la parole aux étudiants de la Spécialité Affaires publiques et Gestion des Biens Communs issus de la Majeure Développement soutenable de Science Po. Lille sur des sujets politiques de l’alimentation durable. Clotilde Coirier s'interroge ici sur l'opportunité que représente une initiative telle que la Ruche qui dit Oui ! pour le système alimentaire de demain.

Parfois qualifiée d’AMAP 2.0, la Ruche qui dit Oui ! est une plateforme internet qui vise à mettre en relation producteurs locaux et consommateurs. L’entreprise se décrit elle même comme « Réseau de communautés d'achat direct aux producteurs locaux ». Elle se félicite également de mettre la technologie au service des producteurs locaux et de participer à la constitution d’un circuit alimentaire durable.

La ruche qui dit oui CERDD

La ruche qui dit oui ?

La ruche qui dit Oui ! rassemble en réalité de nombreuses « ruches » réparties sur le territoire et chaperonnées par l’entreprise mère. L’entreprise mère - la « Ruche-Mama » - propose à chacun (particulier, association, entreprise) de devenir responsable de Ruche. Chaque responsable doit contacter des producteurs qui répondent à deux conditions : leur lieu de production se situe à moins de 250km de la ruche et leurs produits sont de qualité. Parallèlement, il recrute des membres qui souhaitent acheter des produits locaux. Lorsque 50 membres sont recrutés et que la ruche compte quelques producteurs, les ventes peuvent commencer. Chaque semaine, le responsable diffuse sur la page dédiée à sa ruche les produits proposés à la vente. Ces produits sont vendus à un prix fixé préalablement par le producteur. Le producteur fixe également un minimum de commandes à atteindre pour venir livrer.

Les membres de la ruche ont 6 jours pour passer commande sur le site, commande qui s’effectue comme sur un site classique de e-commerce, une plateforme internet développée par la Ruche-Mama. Une fois les commandes terminées, les producteurs qui ont atteint le minimum de commandes demandées viennent livrer. Chaque membre reçoit alors la liste de ses courses effectives ainsi que le montant débité.

La ruche qui dit oui ! une entreprise sociale et solidaire

Contrairement aux AMAP qui sont de forme associative, la Ruche qui dit oui ! est l’enseigne de la société Equanum SAS. Cette Société par Actions Simplifiée (SAS) a été créée en décembre 2009 par trois associés Guilhem Chéron, Marc-David Choukroun et Mounir Mahjoubi. En 2012 la société a reçu deux agréments : celui de « Jeune entreprise innovante » ainsi que l’agrément « Entreprise solidaire d’utilité sociale ». Les conditions d’obtention de l’agrément ESUS comprennent notamment :

  • Recherche d'une utilité sociale comme objectif principal
  • Lucrativité limitée
  • Rémunération limitée des salariés ou des dirigeants les mieux rémunérés
  • Pas de négociation des titres de capital sur un marché financier1

La Ruche se différencie également des AMAP en raison du paiement par le producteur de frais de services. La Ruche qui dit Oui ! se défend de constituer un intermédiaire entre le producteur et le consommateur puisque c’est le producteur qui doit reverser 16,7% de son chiffre d’affaires hors taxes à Equanum SAS, en guise de paiement du service de mise en relation avec des consommateurs. La moitié de ce montant est versé au responsable de ruche.

Les ruches doivent d’ailleurs elles aussi déclarer leur activité. Parmi les 627 Ruches actives en octobre 2014, 66% avaient un statut d’entreprise individuelle (auto-entrepreneur, EURL...), 18 % un statut associatif, 9 % celui d’une entreprise commerciale (SARL, SAS...) et 7 % étaient rattachées à une entreprise agricole2.

Ruche qui dit oui CERDD

Analyse de l’initiative

De juin 2013 à avril 2014, le CERDD a rassemblé des personnes et des structures variées afin qu’ils s’interrogent ensemble sur le système alimentaire dans la région Nord-Pas-De-Calais. De ces échanges est né le document « Repères pour une alimentation durable en NPDC », dans lequel sont présentés quatre enjeux-clés pour le système alimentaire du 21ème siècle. Ce sont :

  • une alimentation bénéfique et accessible à tous
  • une contribution positive sur le bien-être et la santé
  • une empreinte minimale sur l’environnement
  • un système économiquement équitable et performant

À l’aune de ces objectifs, que représente une initiative telle que la Ruche qui dit Oui ! pour le système alimentaire de demain ?

Un des grands points positifs du système proposé par la ruche est de faciliter l’accès à une alimentation bénéfique à tous. Tout d’abord l’organisation des ruches replace au cœur du système une relation de proximité entre producteur et consommateur, et peut avoir pour suite logique une confiance accrue entre les différents acteurs de la filière alimentaire. Le mouvement de création des ruches va aussi à l’encontre de la disparition des commerces de proximité sur les territoires. La proximité dans ce système n’est pas seulement géographique, même si les commandes s’effectuent sur la plateforme internet développée par la « Ruche-Mama », les livraisons sont l’occasion de la rencontre entre producteurs et consommateurs. Il est d’ailleurs mentionné dans la charte à laquelle doivent adhérer les producteurs que les fournisseurs s’engagent à assurer la livraison ainsi que la remise en mains propres des produits le plus souvent possible3.

Le système des ruches peut aussi s’inscrire dans une démarche d’action positive sur le bien-être et la santé en proposant des produits locaux et souvent non transformés. En 2011, 35% des produits vendus par le biais des ruches étaient bio. Cependant les producteurs n’ont pas d’obligations qualitatives précises liées au produits. En vertu de la charte, les producteurs ont néanmoins l’obligation de « communiquer clairement sur les produits proposés, en détaillant leur composition, leurs caractéristiques, leur exploitation d’origine et leurs méthodes de production » et de « livrer et distribuer les produits en respectant les règles sanitaires en vigueur, notamment en ce qui concerne la chaîne du froid et le conditionnement ». Le responsable de ruche a également l’obligation de « sélectionner l’offre avec soin » (en prenant en compte la qualité, la variété, le prix, la distance ou encore en assurant la présence des produits de base)

Concernant maintenant l’empreinte environnementale, un tel système peut permettre de lutter contre le gaspillage alimentaire et l’inflation du conditionnement, en raison de la proximité entre consommation/production et en l’absence d’injonction d’acheter des produits non-nécessaires. Là encore ce n’est pas forcément parfait car le système ne permet pas au producteur de prévoir clairement ses ventes, et en cas de commandes trop faibles la livraison peut être annulée, laissant au producteur le souci d’écouler sa marchandise. Enfin l’obligation de proximité correspond déjà à une première réduction de la dépendance aux matières fossiles, en raison d’un transport des marchandises réduit.

Pour terminer l’analyse, les ruches peuvent également participer au développement d’un système économiquement plus équitable. Les producteurs fixent eux même les prix et la mise en place des ruches peuvent s’apparenter à la création de « mini-systèmes » alimentaires locaux. Les responsables de ruches doivent en outre s’engager à ne pas mettre les producteurs en concurrence déloyale ou inutile.

Ilustration Ruche qui dit oui CERDD

Quel avenir pour les ruches dans un système d’alimentation durable ?

Les ruches peuvent donc présenter une alternative intéressante au système classique de distribution des produits alimentaires et s’inscrire dans un système d’alimentation durable. Mais pour représenter un système durable, le réseau des ruches peut encore améliorer certains points de l’organisation. Il a d’ailleurs été l’objet des critiques de l’AMAP « Bio devant » située à Courbevoie4. Cette AMAP dénonce d’une part le manque d’engagement des consommateurs dans le système des ruches : ceux-ci sont pratiquement aussi passifs que s’ils effectuaient leurs courses sur la plateforme « drive » d’un supermarché classique.

De plus l’existence d’une part reversée à la « Ruche-Mama » et aux responsable de ruches font douter du caractère direct de la vente, même si l’entreprise s’est engagée à ne pas augmenter cette part. Enfin, l’origine des produits a aussi fait l’objet des critiques de l’AMAP de Courbevoie, puisque ceux-ci peuvent avoir parcouru plus de 250km et avoir été seulement transformés localement par un artisan fournisseur de la ruche. De plus, si en 2011 la Ruche se félicitait de compter 35% de produits bio parmi les ventes de ruche, cela reste une faible part et signifie donc que 65% des produits passés par les ruches contiennent des produits chimiques, ce qui pose problème dans le cadre d’un système alimentaire durable où l’agriculture ne doit pas dépendre d’intrants chimiques et permettre l’accès à une nourriture saine pour tous.

A ces critiques il faut ajouter que le système actuel des ruches ne permet pas l’autonomisation totale des acteurs du système alimentaire puisque les producteurs aussi bien que les consommateurs et les responsables de ruches sont dépendants de la plateforme internet développée par l’entreprise mère, même si cette plateforme est effectivement un outil efficace de mise en relation. En outre les producteurs ne sont pas à l’abri d’une fermeture de ruche et donc de la disparition d’une source de revenus, bien que le responsable doive prévenir au minimum trois mois avant la cessation d’activité de la fermeture de la ruche. Il faudrait peut-être rallonger le délai de préavis afin d’assurer la durabilité du système alimentaire construit autour d’une ruche.

Par ailleurs, les responsables de ruches ne sont que très rarement formés à la conduite de projets ou d’entreprise, ce qui fragilise les ruches et peut raccourcir leur durée de vie. L’absence de formation des responsables de ruches met en danger les producteurs partenaires qui peuvent voir une ruche péricliter rapidement alors qu’ils croyaient s’être assurés une source de revenus. Si l’entreprise mère décidait de prendre en charge cette formation avant toute nouvelle ouverture de ruche, cela sera doublement bénéfique : pour le responsable qui obtiendrait une qualification supplémentaire ainsi que pour le producteur qui verrait sa source de revenus sécurisée. Le producteur est aussi dépendant des commandes des consommateurs : s’il n’y a pas assez de commandes en ligne, la distribution est annulée, ce qui permet au producteur d’éviter des frais de transports supérieurs à son chiffre de vente, mais cela entraine aussi une perte de revenu alors que la marchandise est produite. En comparaison, pour régler ce problème de sécurité et viabilité économique, les AMAP proposent un abonnement, ce qui assure au producteur une plus grande visibilité dans la gestion de ses productions ainsi que des revenus stables. Si ce système offre au consommateur une liberté moindre, il permet sans doute une plus grande équité. Enfin, autre point sur lequel la Ruche pourrait évoluer afin de proposer un service alimentaire durable : le soutien aux producteurs locaux. Même si la Ruche permet le développement de nouveaux débouchés pour ces producteurs, elle n’assure pas de façon certaine la pérennité de leur activité et donc leur présence sur le territoire.

En bref

Pour conclure sur l’avenir de l’expérience, il faut encore souligner que la Ruche qui dit Oui ! s’inscrit dans un contexte de surenchère de circuits courts alimentaires. Alors qu’existent des AMAP, des points de ventes collectifs, des marchés, quelle peut-être l’utilité et la pérennité du système des ruches ? Et surtout, alors que les autres types de circuits courts proposent aux producteurs une plus grande sécurité de revenus, qu’est ce qui peut convaincre ceux-ci de s’investir durablement dans une ruche ? Sur ce point, on peut émettre l’hypothèse d’une plus grande « modernité » du système des ruches, d’une plus grande attractivité vis-à-vis d’un public plus jeune, ce qui peut conduire des agriculteurs, soucieux de toucher un public plus large et de s’assurer clientèle durable, de prendre part au fonctionnement d’une ruche.

1  https://www.service-public.fr/professionnels-entreprises/vosdroits/F32275

2  https://laruchequiditoui.fr/fichiers/Qui-sommes-nous-WEB.pdf

3  https://laruchequiditoui.fr/fr/p/network-convention

4  http://www.amapbiodevant.fr/blog/actualites/reseau/attention-une-amap-na-rien-a-voir-avec-les-principes-de-ruches/

Article rédigé par Clotilde Coirier, étudiante de la Spécialité Affaires publiques et Gestion des Biens Communs issus de la Majeure Développement soutenable de Science Po. Lille.

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Consultez l'article sur l'initiative d'E.Leclerc Templeuve avec "Bon & Bien"

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