Climatour #22 | Adapter les forêts au changement climatique

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  • Mise à jour le November 4, 2025
  • Création le July 7, 2025

Comment penser l’avenir des forêts dans un contexte de changement climatique ? Pour apporter des éléments de réponse à cette interrogation, le Cerdd a organisé un Climatour en forêt du château de Chantilly le 17 juin 2025. Face au dépérissement des chênes, les acteurs locaux y proposent un nouveau regard sur la gestion forestière, alliant recherche-action et mobilisation citoyenne. Retour sur cette visite de terrain multipartenariale, qui a réuni 39 personnes.

Climatour #22 : « Adapter les forêts au changement climatique »

La forêt occupe une place centrale dans le paysage français et dans l’identité des territoires et de ses habitant·es. Recouvrant près de 31% de la surface française, elle rend de multiples services : puits de carbone, régulateur local de climat, réserve de bois et de biodiversité, lieu de loisir et de rêveries… 

Mais l’intensification de la production sylvicole (plus de 2 millions de mètres cubes de bois exploités en 2023 dans les Hauts-de-France, soit une hausse de 36 % environ par rapport à 2005) constitue une pression humaine sur le milieu, auxquelles s’ajoutent celles du changement climatique. La multiplication des aléas climatiques et de leur intensité affaiblissent un écosystème déjà fragilisé. Sécheresses et canicules accentuent les risques de feux, de dépérissement et diminuent la résistance aux nuisibles (hannetons forestiers et scolytes notamment).

Pour comprendre comment adapter les forêts au changement climatique, le Cerdd s’est rendu dans la forêt du château de Chantilly, pour une visite en partenariat avec de nombreux acteurs locaux qui ont pu partager leurs expertises : l’Office national des forêts (ONF), l’Institut de France, l’INRAe, le Conservatoire d’espaces naturels des Hauts-de-France, le Parc naturel régional (PNR) Oise Pays de France, le Conservatoire botanique national de Bailleul et le collectif de bénévoles « Ensemble, sauvons la forêt de Chantilly ». 

Gestion forestière, études des sols et des végétations, expérimentation de nouveaux plants plus adaptés ou encore inventaire de la faune sont autant d’approches qui permettent de mieux comprendre la forêt et  surtout, de tenter de sauver celle de Chantilly. Complémentaires, elles ont toutes été présentées sur le terrain, soulignant ainsi la nécessité d’adopter une nouvelle gestion pour préserver ces écosystèmes.

groupe de personnes en cercle autour d'une personne en train de parler, au coeur de la forêt
Théo Le Marchand explique l'approche de l'ONF dans la forêt de Chantilly. © Cerdd

De nouvelles conditions instables et un renouvellement forestier incertain

En temps normal, les arbres s’adaptent aux conditions pédoclimatiques (accès à l’eau et aux nutriments, vents…) : le feuillage diminue pour limiter les besoins en énergie. Lorsque des conditions favorables sont de nouveau réunies, l’arbre retrouve son état initial et peut alors poursuivre sa croissance. Avec la multiplication des conditions climatiques extrêmes dues au changement climatique, les périodes de sécheresse s’enchaînent et les arbres, épuisés, ne parviennent plus à se refaire un feuillage et un système racinaire suffisant. Ils finissent par mourir. C’est la généralisation de ce phénomène que l’Institut de France et l’ONF, respectivement propriétaire et gestionnaire de la forêt privée du château de Chantilly, ont remarqué dès 2018. Après une observation attentive du massif, le constat était sans appel : la chênaie était en état de dépérissement. 

« En plus de son rôle de production de bois et son rôle récréatif, la forêt a un rôle de protection, selon Christophe Launay, directeur technique forêt et chasse pour l’Institut de France. Des sols d’abord, en les préservant afin d'en limiter la dégradation, mais aussi de la biodiversité. La biodiversité, c’est son moteur, s’il n’y a plus de biodiversité, la forêt souffre. » Un dépérissement trop rapide est particulièrement préoccupant, en particulier pour la faune et la flore environnante. « Lorsqu’un arbre meurt, cela crée une trouée et donc de la lumière, explique Jean-Christophe Hauguel, directeur adjoint de l’antenne de Picardie du Conservatoire botanique national de Bailleul. Des plantes vont alors venir coloniser naturellement cette trouée. Le problème, c’est que ce sont des espèces exotiques envahissantes ou des plantes indigènes à fort pouvoir colonisateur, comme les fougères, qui vont venir monopoliser les ressources dans le sol ». Les nouvelles plantations vont alors peiner à croître, dans un sol dont les nutriments et l’eau ont été prélevés par ces espèces envahissantes. Le renouvellement de la forêt est ainsi mis en difficulté.

L’approche coopérative au service d’une gestion plus pérenne

Afin de savoir comment agir, il a d’abord fallu comprendre le fonctionnement forestier, du massif à l’arbre. Sous l’impulsion de l’Institut de France et de l’ONF, et sous la coordination du PNR Oise Pays de France, l’INRAe, le Conservatoire botanique de bailleul et le Conservatoire d’espaces naturels des Hauts-de-France ainsi que le collectif de bénévoles se sont lancés dans un programme de recherche-action hors norme afin de comprendre les facteurs en cause

L’occasion de rappeler l’importance de croiser les différents champs de recherche : « Il faut avant tout zoomer sur les sols pour comprendre le dépérissement. Pour d’autres experts, les raisons varient. Par exemple, un microbiologiste dira que l’arbre dépérit à cause des bactéries et champignons, un écophysiologiste l’expliquera par la physiologie et les mécanismes de réserve de l’arbre… Plusieurs experts sont donc venus sur place, avec des approches complémentaires », souligne Laurent Saint-André, directeur de recherche à l’INRAe. Un inventaire forestier complet a ainsi été réalisé, permettant de dénombrer les 2,5 millions d’arbres sur le massif, tandis que près de 60 fosses ont été creusées pour déterminer la composition des sols de Chantilly. Les premières conclusions font état de conditions très différentes qui expliquent le dépérissement de certains arbres par rapport à d’autres : un sol riche en humus, en argile et en eau est propice au développement racinaire, tandis qu’un sol très sableux à quelques mètres de là rend difficile l’accès aux nutriments nécessaires à la croissance. 

La coopération s’est poursuivie avec l’implication du collectif de bénévoles « Ensemble sauvons la forêt de Chantilly ». Constitué en 2020 dans une volonté d’ouvrir le dialogue avec les gestionnaires, le collectif compte aujourd’hui quelques centaines de bénévoles et comptabilise plus de 2400 journées de travail. Formé·es par les pilotes du projet, les bénévoles ont permis d’élargir la connaissance et l’expérimentation sur les parcelles : avec par exemple la plantation de près de 1 100 arbres et 18 essences pour déterminer celles qui seront les plus adaptées au climat de demain. 

photo de marais en coeur de forêt
La visite de clôture de ce Climatour, au cœur du marais de la Troublerie, a pu mettre en évidence la nécessité d’avoir des mosaïques de milieux diversifiés. © Cerdd

« Nouveau mot d’ordre : il faut tout changer »

Cette nouvelle approche partenariale a été l’occasion pour l’Institut de France et l’ONF de changer de regard sur leur métier. « Les forestiers travaillaient habituellement dans un contexte stable. Aujourd’hui, avec le changement climatique, le milieu dans lequel ils évoluent est devenu instable. Et il n’y aura pas de retour à la normale, ils devront désormais devoir faire avec cette instabilité permanente, explique Théo Le Marchand, technicien ONF pour la forêt de Chantilly. Cela demande de mettre en place un suivi beaucoup plus régulier, d’observer l’évolution, de recueillir des données scientifiques et d’objectiver les dires d’experts ». Concrètement, cela s’est traduit par des changements dans les pratiques forestières à Chantilly : les coupes rases ont été arrêtées afin d’éviter les changements brutaux et d’assurer une continuité du couvert forestier, les essences d’arbres ont été diversifiées pour favoriser la résilience de la forêt face aux maladies et ravageurs… 

La visite de clôture de ce Climatour, au cœur du marais de la Troublerie, a pu mettre en évidence la nécessité d’avoir des mosaïques de milieux diversifiés, comme des marais, au rôle important en termes d’atténuation et d’adaptation au changement climatique.

Jean-Luc Hercent, chargé de mission patrimoine naturel au Parc Naturel Régional Oise Pays de France a pu de son côté souligner l’importance de laisser du bois mort dans la forêt : les insectes saproxylophages (se nourrissant de bois mort) sont à la base d’une chaîne alimentaire complexe. S’ils ne trouvent plus d’habitats, ce sont plusieurs espèces d’oiseaux qui seront en péril. 

« Le dépérissement a plusieurs visages, alors le métier de forestier change, complète Christophe Launay. On remet au cœur de la profession nos capacités d’observation. Maintenant on travaille plus à l’arbre qu’à la parcelle ». Cette nouvelle gestion privilégie une approche partenariale avec la recherche, mais aussi avec les citoyen·nes.

« Le nouveau mot d’ordre, résume Théo Le Marchand, c’est : il faut tout changer ! » 

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Climatour #22 - Dossier ressource Forêt et climat

Comment penser l’avenir des forêts dans un contexte de changement climatique ? Pour apporter des éléments de réponse à cette interrogation, le Cerdd a organisé un Climatour en forêt de Chantilly le 17 juin 2025. Face au dépérissement des chênes, les acteurs locaux y proposent un nouveau regard sur la gestion forestière, alliant recherche-action et mobilisation citoyenne. C'est à l'occasion de cette visite de terrain multipartenariale, qui a réuni 39 personnes, que ce dossier ressource a été constitué.

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