De nouvelles conditions instables et un renouvellement forestier incertain
En temps normal, les arbres s’adaptent aux conditions pédoclimatiques (accès à l’eau et aux nutriments, vents…) : le feuillage diminue pour limiter les besoins en énergie. Lorsque des conditions favorables sont de nouveau réunies, l’arbre retrouve son état initial et peut alors poursuivre sa croissance. Avec la multiplication des conditions climatiques extrêmes dues au changement climatique, les périodes de sécheresse s’enchaînent et les arbres, épuisés, ne parviennent plus à se refaire un feuillage et un système racinaire suffisant. Ils finissent par mourir. C’est la généralisation de ce phénomène que l’Institut de France et l’ONF, respectivement propriétaire et gestionnaire de la forêt privée du château de Chantilly, ont remarqué dès 2018. Après une observation attentive du massif, le constat était sans appel : la chênaie était en état de dépérissement.
« En plus de son rôle de production de bois et son rôle récréatif, la forêt a un rôle de protection, selon Christophe Launay, directeur technique forêt et chasse pour l’Institut de France. Des sols d’abord, en les préservant afin d'en limiter la dégradation, mais aussi de la biodiversité. La biodiversité, c’est son moteur, s’il n’y a plus de biodiversité, la forêt souffre. » Un dépérissement trop rapide est particulièrement préoccupant, en particulier pour la faune et la flore environnante. « Lorsqu’un arbre meurt, cela crée une trouée et donc de la lumière, explique Jean-Christophe Hauguel, directeur adjoint de l’antenne de Picardie du Conservatoire botanique national de Bailleul. Des plantes vont alors venir coloniser naturellement cette trouée. Le problème, c’est que ce sont des espèces exotiques envahissantes ou des plantes indigènes à fort pouvoir colonisateur, comme les fougères, qui vont venir monopoliser les ressources dans le sol ». Les nouvelles plantations vont alors peiner à croître, dans un sol dont les nutriments et l’eau ont été prélevés par ces espèces envahissantes. Le renouvellement de la forêt est ainsi mis en difficulté.
L’approche coopérative au service d’une gestion plus pérenne
Afin de savoir comment agir, il a d’abord fallu comprendre le fonctionnement forestier, du massif à l’arbre. Sous l’impulsion de l’Institut de France et de l’ONF, et sous la coordination du PNR Oise Pays de France, l’INRAe, le Conservatoire botanique de bailleul et le Conservatoire d’espaces naturels des Hauts-de-France ainsi que le collectif de bénévoles se sont lancés dans un programme de recherche-action hors norme afin de comprendre les facteurs en cause.
L’occasion de rappeler l’importance de croiser les différents champs de recherche : « Il faut avant tout zoomer sur les sols pour comprendre le dépérissement. Pour d’autres experts, les raisons varient. Par exemple, un microbiologiste dira que l’arbre dépérit à cause des bactéries et champignons, un écophysiologiste l’expliquera par la physiologie et les mécanismes de réserve de l’arbre… Plusieurs experts sont donc venus sur place, avec des approches complémentaires », souligne Laurent Saint-André, directeur de recherche à l’INRAe. Un inventaire forestier complet a ainsi été réalisé, permettant de dénombrer les 2,5 millions d’arbres sur le massif, tandis que près de 60 fosses ont été creusées pour déterminer la composition des sols de Chantilly. Les premières conclusions font état de conditions très différentes qui expliquent le dépérissement de certains arbres par rapport à d’autres : un sol riche en humus, en argile et en eau est propice au développement racinaire, tandis qu’un sol très sableux à quelques mètres de là rend difficile l’accès aux nutriments nécessaires à la croissance.
La coopération s’est poursuivie avec l’implication du collectif de bénévoles « Ensemble sauvons la forêt de Chantilly ». Constitué en 2020 dans une volonté d’ouvrir le dialogue avec les gestionnaires, le collectif compte aujourd’hui quelques centaines de bénévoles et comptabilise plus de 2400 journées de travail. Formé·es par les pilotes du projet, les bénévoles ont permis d’élargir la connaissance et l’expérimentation sur les parcelles : avec par exemple la plantation de près de 1 100 arbres et 18 essences pour déterminer celles qui seront les plus adaptées au climat de demain.