COSACO : le grand public et la recherche s’associent pour lutter contre les risques littoraux en Côte d’Opale

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  • Mise à jour le April 25, 2025
  • Création le April 15, 2025
  • Wissant

L’enjeu de transmission du résultat de ses recherches au grand public se pose à tout chercheur. Le Laboratoire d'océanologie et de géosciences de l’Université du Littoral Côte d'Opale (ULCO) a saisi l’opportunité de l'appel à projet « Quel littoral pour demain ? » lancé par la Fondation de France pour conduire, de 2016 à 2020, le projet COSACO. Une démarche de co-construction de stratégies d’adaptation au changement climatique en Côte d’Opale, dans les communes de Wissant et d’Oye-Plage, deux territoires particulièrement sensibles aux risques d’érosion et de submersion.

Le projet en bref

Objectifs de développement durable

  • 11. Villes et communautés durables
  • 13. Mesures relatives à la lutte contre les changements climatiques
  • 17. Partenariats pour la réalisation des objectifs

# Sur les mêmes sujets

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Spécialiste de l’évolution des littoraux du monde entier, Marie-Hélène Ruz, géomorphologue à l’Université du Littoral Côte d'Opale (ULCO), observe depuis plus de 35 ans, et de très près, le trait de côte de la Côte d’Opale. Ce littoral dunaire, dont une large portion est constituée de côtes basses, présente deux spécificités : 45% du trait de côte est en processus d’érosion et la densité de population y est particulièrement élevée, avec 500 habitant·es au km². 

Depuis 2015, plusieurs communes de la Côte d’Opale ont signé avec l’État un Plan de prévention des risques littoraux (PPRL), dont les communes de Oye Plage et de Wissant où activités économiques et habitations sont directement menacées par la submersion marine. L’enjeu est de taille avec une forte nécessité d’adaptation de ce littoral très exposé.

Scientifiques et citoyen·nes, ensemble dans une démarche co-constructive

Démarré en 2016, le projet COSACO (pour co-construction de stratégies d’adaptation au changement climatique en Côte d’Opale) vise à apporter une réponse aux inquiétudes légitimes des riverain·es et aux interrogations des acteur·rices à travers quatre objectifs : 

  • évaluer les impacts potentiels du changement climatique à Wissant et sur le Platier d’Oye à échéance 2065 ;
  • communiquer ces résultats auprès des populations concernées et des acteur·rices du territoire ;
  • expérimenter une recherche participative en impliquant les habitant·es et les gestionnaires du littoral pour co-construire une stratégie d’adaptation ;
  • analyser l’acceptabilité sociale des solutions qui pourraient être mises en place par les services publics.

La première originalité de la démarche réside dans la transdisciplinarité universitaire associant aux travaux des géographes et géomorphologues les expertises d’un physicien et d’un sociologue. « Le croisement de nos regards sur la perception des risques a été extrêmement enrichissant pour nos recherches et ce travail de co-construction sur ce thème a été une première en Hauts-de-France », précise la géomorphologue Marie-Hélène Ruz. Les scientifiques ont en effet contribué à l’élaboration des données, rédigé les questionnaires d’enquêtes et réalisé un sondage en ligne destiné aux habitant·es.

Les premières réunions, de mars à octobre 2017, avaient pour objectif de présenter aux habitant·es et aux acteur·ices locaux les données scientifiques sur l’évolution côtière passée, présente et future. « La connaissance du sujet constitue la clé fondamentale pour l’expression des habitant·es. Sans l’apport de leur ressenti, conjoint à leur connaissance du littoral, les conclusions du projet auraient été complètement différentes », selon Marie-Hélène Ruz. Une deuxième salve de réunions a eu lieu en mars, novembre et décembre 2018 pour rendre compte des résultats des recherches en sciences humaines et sociales, issus des ateliers participatifs et des questionnaires sur la perception du risque.

En mars 2019, une réunion avec les acteur·rices du littoral (gestionnaires, représentant·es des services de l’État, maires, associations…) a permis de relayer le ressenti des habitant·es face aux risques littoraux ainsi que leurs visions des aménagements à entreprendre. Enfin, la journée de conclusion, en novembre 2019, visait plus précisément à confronter les points de vue des habitant·es et des acteur·rices du territoire dans le but de co-construire des scénarios d’adaptation au changement climatique. Chaque réunion a rassemblé entre 30 et 70 participant·es, mobilisé·es et assidu·es. Les présentations étaient toujours suivies d’un long temps d’échanges et de questions. 

COSACO s’est achevé en 2020, au terme de quatre années d’échanges. En couplant données scientifiques et atelier participatifs, le projet a permis d’aboutir à :

  • la production et la diffusion de cartes issues des ateliers collaboratifs, résultats des recherches sur l’évolution du littoral à différentes échelles de temps ;
  • le recueil d’une documentation mémorielle des sites par les habitants·es ;
  • la mise en place d’une démarche participative du suivi du trait de côte à Oye-Page ;
  • la création d’un site internet COSACO porté par l’ULCO.

Réunion Publique À Oye Plage. © Le GoffRéunion publique à Oye Plage. © Le Goff

Wissant et Oye-Plage, deux sites avec des risques et des profils d’habitant·es différents

La baie de Wissant est connue pour son attrait touristique en raison de ses qualités paysagères et de son classement Grand Site de France pour les falaises du Cap Gris-Nez et Cap Blanc-Nez. Les dunes étant protégées et non accessibles hors des sentiers balisés, la fréquentation touristique a peu d’impacts ici sur le recul du trait de côte qui y est pourtant extrêmement rapide, atteignant plus de 5 mètres par an par endroit. Ce recul menace non seulement les habitations situées derrière le cordon dunaire de la Dune d’Aval mais aussi le Marais de Tardinghen, une zone naturelle riche en biodiversité du Parc Naturel Régional des Caps et Marais d’Opale

Le Platier d’Oye, propriété du Conservatoire du Littoral, a quant à lui été classé réserve naturelle nationale après la construction d’un lotissement de 153 maisons très vulnérables au risque de submersion, en cas de brèche du cordon dunaire. 

Outre le territoire en lui-même, il est aussi nécessaire de connaître celles et ceux qui l’habitent. Pour cela, un portrait type a été établi sur la base des 285 répondant·es (123 à Oye-Plage et 162 à Wissant) au sondage. Le·la riverain·e type est une personne âgée de 50 ans ou plus, propriétaire de son logement et très ancrée dans le territoire. Qu’ils·elles soient de Wissant ou d’Oye Plage, les riverain·es ont pleinement conscience de la qualité de leur cadre et de vie et sont très attaché·es à leur territoire, décrit comme « un espace naturel, de liberté, de beauté et de loisirs ». La mer n’est pas vécue comme un espace de danger ni comme un espace réglementé. Pour autant, la conscience du risque de submersion (de même que les causes à l’origine) est partagée par tous·tes, mais plus ou moins marquée en fonction de leur proximité au rivage ou du rapport qu’ils·elles entretiennent avec le territoire. À Wissant par exemple, seul·es quelques propriétaires de résidences secondaires envisagent plus facilement de revendre leur bien pour en acquérir un autre dans une zone moins exposée, la plupart voulant à tout prix protéger leur maison.

Quelles solutions sont souhaitées et préconisées ? 

Les habitant·es écartent de façon majoritaire les options du laisser-faire et du repli vers l’intérieur. Leurs souhaits se tournent plutôt vers des solutions basées sur des  techniques dures (digue par exemple) ou fondées sur la nature (comme la plantation d’oyats pour stabiliser les dunes), voire un mix des deux en fonction des enjeux rencontrés. Mais quelques soient les solutions envisagées, l’accès à la mer reste une priorité pour les habitant·es, surtout à Oye-Plage.

« Au début du projet, un clivage était net et les réunions parfois houleuses quant aux solutions souhaitées », indique Marie-Hélène Ruz. Au fur et à mesure de l’avancement des ateliers participatifs, les positions très tranchées, les solutions extrêmes souhaitées et le sentiment pessimiste quant à leur avenir sur leur territoire se sont nuancés jusqu’à parvenir, « vers la fin du projet, à l’amorce d’une entente et d’un rapprochement des points de vue, à Wissant comme à Oye-Plage »

Toutefois, la position des habitant·es des deux communes est restée constante du début à la fin sur deux aspects :

  • l’incompréhension face à l’absence de pouvoir décisionnel du projet de recherche COSACO : chercheur·ses et habitant·es étant exclu·es des processus décisionnels sur leur territoire ;

  • le refus des habitant·es d’envisager de payer la facture des travaux, dont le paiement est à leurs yeux attribuable à l’État.

Parmi les solutions envisagées, l’évolution des processus de co-construction et de co-décision est souhaitée, afin d’arriver à une réelle acceptabilité sociale des changements à entreprendre.

En parallèle des ateliers participatifs, 21 entretiens ont permis de recueillir le regard des gestionnaires du littoral. Ces dernier·es ont admis la complexité des phénomènes en cours, la difficulté quant au choix des solutions, et le décalage entre la réalité du terrain et le temps administratif des projets. Ces professionnel·les ont souligné le manque de moyens financiers et surtout d’une structure coordinatrice pouvant agir à l’échelle intercommunale appropriée du littoral. De l’avis général, deux structures existantes, le Réseau d’Observation du Littoral (ROL) et le Pôle Métropolitain Côte d’Opale (PMCO), pourraient répondre à ce besoin de coordination.

Quel bilan pour quel suivi ?

L’objectif initial de transmettre les informations scientifiques de façon pédagogique auprès du public concerné a été atteint. Habitant·es, responsables politiques, acteur·rices locaux·ales et gestionnaires des sites ont bénéficié d’une présentation des données scientifiques sur l’évolution du littoral de la Côte d’Opale, enrichies par leurs témoignages et apports personnels mémoriels (lire le rapport COSACO). Dans les deux communes, le projet aura également permis de révéler l’engagement citoyen : à Wissant, où des associations de défense du littoral existaient préalablement et à Oye-Plage, avec les « Ambassadeurs·rices » qui regroupent les habitant·es très investi·es dans le projet COSACO. 

« La gouvernance de cette problématique est complexe. On observe à la fois un mille-feuille administratif, une faille au niveau décisionnel mais également une complémentarité des structures. En ce qui concerne les axes de progrès, on constate un manque d’adéquation entre les études et les travaux menés, admet Marie-Hélène Ruz. Des oppositions manifestes entre expertise officielle et institutionnelle et expertise locale et de terrain (habitant·es et maires), entre résident·es eux-mêmes en fonction de leur situation personnelle ont été observées. »

La géomorphologue souligne néanmoins un climat global de confiance et salue l’évolution au final des mentalités vers une meilleure compréhension mutuelle, fruit des nombreux échanges. 

À Oye-Plage, en raison de la situation des habitations sur une réserve naturelle, les habitant·es ont bénéficié d’une expertise pour réduire la vulnérabilité de leur bien. Ces aménagements qui peuvent être financés jusqu’à 80% sont divers : création d’un accès pour une sortie par le toit ou d’un étage supplémentaire…

À Wissant, la demande des riverain·es est celle de solutions dures, toujours à l’étude, prises en fonction des enjeux et du rythme d’érosion. 

En quoi cette initiative est favorable à l’adaptation ?

Le partage des connaissances scientifiques avec les riverain·es et les gestionnaires locaux est un préalable à la co-construction de stratégies d’adaptation aux changements climatiques. La participation et la collaboration entre les multiples parties (scientifiques, riverain·es, gestionnaires, élu·es…) pour trouver des solutions et des financements est indispensable, d’autant plus avec une problématique aussi complexe que la gestion du littoral en contexte de changement climatique. Elle participe également à l’acceptabilité des transformations entreprises en intégrant dans les discussions les enjeux de cadre de vie, de bien-être, de santé, etc.