Leçons de sobriété  : retour sur les 18e universités de négaWatt

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  • Mise à jour le October 29, 2025
  • Création le October 28, 2025

Le vendredi 10 octobre 2025, l’association négaWatt a convié les curieux·ses de la sobriété à rejoindre ses adhérent·es à l’Académie du Climat à Paris, pour une après-midi de tables rondes lors de son université d’automne. Retour sur des échanges riches en enseignements sur l’aspect social des sobriétés, et sur la sobriété hydrique.

Est-il encore besoin de présenter négaWatt ? Active depuis 2001, cette association qui rassemble professionnel·les et citoyen·nes animé·es par les enjeux d’énergie, est pionnière pour ses travaux prospectifs autour de la transition énergétique. Elle est aussi l’une des premières (si ce n’est la première) à avoir introduit et défendue la notion de sobriété dans le débat public français. On la connaît en effet pour son « triptyque », devenu devise et boussole d’une transition énergétique vers la neutralité carbone : sobriété, efficacité, énergies renouvelables.

Le 10 octobre 2025, négaWatt organisait son université d’automne à Paris, entre les murs de l’Académie du Climat. Si la matinée offrait tout un choix d’ateliers réservés aux adhérent·es de l’association, les portes étaient ouvertes au grand public l’après-midi. Le Cerdd s’y est rendu pour assister aux deux tables rondes sur les sobriétés : quatre heures d’échanges riches de rappels et d’enseignements, qui viendront sans aucun doute nourrir nos propres réflexions sur cette thématique.

Sobriété et justice sociale : deux faces d'une même pièce

La première table ronde, intitulée «  Sobriété, un enjeu de société : histoire, actualité, horizon », invitait l’audience à dépasser l’approche technique de la sobriété énergétique pour la considérer sous un angle social et sociétal. Quelles valeurs accompagnent cette notion dans le débat public ? Comment celles-ci influencent sa perception par le plus grand nombre ? Les solutions de sobriété peuvent-elles être universelles ? Car est-on vraiment toutes et tous égaux face aux changements indus par les sobriétés ? Autant de questions auxquelles les intervenant·es, ont permis d’apporter des réponses.

Parmi les grandes idées qui nous ont marqué, on retient notamment ce constat fait par Lucas Francou Damesin, co-fondateur de l’association Parlons Climat : le cadrage individuel de la sobriété a totalement été intégré. La dimension collective de la sobriété, pourtant fondamentale pour que celle-ci soit pleinement transformatrice, est un impensé – voire est impensable. 

Ce constat fait écho aux travaux de Stéphane Signoret, deuxième intervenant, journaliste et membre de négaWatt, qui a retracé l’histoire de la notion de sobriété. Pour lui, celle-ci a depuis longtemps perdu sa dimension politique originelle pour être cantonnée au rang d’une vertu morale individuelle. Cette non-pensée de la sobriété comme un enjeu politique, devant donc être débattue, organisée et mise en œuvre à l’échelle collective, se reflète concrètement dans la prise en main actuelle de la notion par les acteurs publics. Les intervenant·es de la table ronde ont par exemple souligné qu’à l’hiver 2023, la quasi-totalité des «  plans de sobriété » mis en œuvre par les collectivités locales étaient en fait des plans d’écogestes. Même s’ils ont atteint leur objectif en permettant à ces territoires de passer l’hiver sans coupures énergétiques, ces plans ne leur ont pas permis d’engager une vraie restructuration sobre et de long terme. Face à ce constat, Stéphane Signoret soutient qu’il y a besoin de «  repolitiser » la sobriété pour parvenir à la rendre collective… et structurelle.

L’autre angle d’analyse abordé au cours de cette table-ronde concernait les interactions entre sobriété et inégalités. C’est en particulier Barbara Nicoloso, directrice de l’association Virage Energie et autrice du récent essai Gender Power qui a approfondi cette question, au regard des inégalités hommes/femmes. Elle a rappelé que les études montrent que les femmes sont moins émettrices de CO2 tout en étant plus vulnérables faces aux conséquences du changement climatique. Or, du fait d’habitudes genrées, les solutions «  universelles » sont en réalité designées pour correspondre avant tout aux besoins d’un homme d’âge et de corpulence moyens. Y compris lorsqu’il s’agit d’énergie. Par exemple, les femmes sont physiologiquement plus sensibles au froid : la norme de chauffage fixée à 19°C ne correspond pas à leur température de confort (21°C). De même, les femmes étant statistiquement plus locataires que propriétaires de leur logements, elles bénéficient moins des aides à la rénovation thermique. Ou encore, les aides financières pour l’achat d’un nouveau véhicule dans le cadre de la mise en œuvre de ZFE excluent généralement les professions du soin (aides-soignant·es, infirmier·ères, etc) : des professions majoritairement féminines.

Les inégalités sont bien sûr à penser aussi en termes de richesse. L’action à mener pour faire coïncider sobriété et justice sociale est double : d’un côté, être attentif aux besoins des populations les plus précaires pour d’abord garantir des conditions de vie dignes, et renforcer leur autonomie. D’un autre, mettre à contribution les plus riches, dont les comportements et modes de vies sont les plus consommateurs d’énergies et les plus carbonés, et dont l’effort de sobriété est donc indispensable.

La justice sociale ne peut pas être considérée en bout de projet, comme un simple cobénéfice de la sobriété : elle doit en faire pleinement partie.

L'eau : un secteur à enjeux au fort potentiel systémique

En deuxième partie d’après-midi, ce sont Florence Habets, hydroécologue, Christian Couturier, directeur de Solagro, et Léana Msika, ingénieure de recherche mobilisée sur le projet SobriEau, qui sont entré·es en scène pour débattre des enjeux de la sobriété hydrique. L’occasion de repartir avec quelques rappels et ordres de grandeur s’agissant des enjeux liés à l’eau.

D’abord, la distinction entre prélèvements et consommation : si le premier terme désigne toutes les quantités d’eau extraites d’un milieu, la consommation correspond en revanche à la part des prélèvements qui ne repartent jamais dans leur milieu. Ainsi en France, 32 milliards de mètres cubes (m³) d’eau sont prélevés chaque années, dont 5 milliards sont consommés. Pour autant, le reste des prélèvements ne sont pas sans impacts : l’eau prélevée est souvent restituée plus loin, en étant plus chaude, polluée, etc.

Les intervenant·es ont rappelé l’impact du changement climatique sur le cycle de l’eau. Par exemple, on estime qu’en 2050 le débit de la Garonne sera divisé par deux. Pour se préparer aux répercussions que ces bouleversements ont et auront sur nos activités, il est crucial de s’adapter et d’anticiper, en cherchant dès aujourd’hui à réduire nos consommations d’eau et à prioriser nos usages grâce à la sobriété.

Par ailleurs, comme l’a rappelé Christian Couturier de Solagro, l’eau est à la croisée des enjeux de climat, de biodiversité, d’agriculture et d’énergie. À ce titre, son rôle central doit être utilisé comme effet levier en développant des solutions systémiques. L’agriculture, en tant que premier secteur de consommation d’eau doit être aux avants-postes de la sobriété hydrique. L’agroécologie apporte des solutions permettant d’être sobre en eau, tout en ayant des impacts positifs sur le climat ou sur la biodiversité.

Enfin, à travers la présentation du projet SobriEau qui vise à démocratiser la sobriété hydrique dans les projets de rénovation du bâti existant, Léana Msika a rappelé qu’aujourd’hui encore, la sobriété hydrique est souvent confondue avec de la substitution (par exemple, de l’eau potable dans les toilettes remplacée par de l’eau pluie). Clarifier quelles solutions relèvent bien de la sobriété, et lesquelles correspondent à de l’efficacité ou à de la substitution est donc primordial pour mettre en œuvre des projets réellement transformateurs. SobriEau s’y emploie concernant le bâti, en défendant l’ambition de passer de 150l d'eau consommés en moyenne par jour et par personnes dans les bâtis à 50l/j/pers.

En conclusion

On retient de cette journée que la sobriété est une notion certes complexe, mais puissante car elle porte en elle-même des enjeux de justice sociales, d’équité, de priorisation, et donc d’un indispensable débat démocratique et d’une action collective.

Déçu·e de n’avoir pu y assister en chaire et en os, ou simplement intéressé·e par un retour plus complet sur ces échanges ? Pas d’inquiétude : les deux tables rondes ont été filmées, et les captations sont disponibles. Rendez-vous sur le site internet de négaWatt pour y accéder !

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